"Héritage" de Miguel Bonnefoy
Miguel Bonnefoy est né à Paris en 1986 de père chilien et de mère vénézuélienne.
Bien que franco-vénézuélien et écrivant en français, Miguel Bonnefoy a l’écriture fleurie, réaliste, imaginative des écrivains sud-américains, avec des personnages nombreux et hors du commun.
Ce roman se déroule entre la France et le Chili.
C’est une saga, 4 générations en 200 pages, l’auteur a le sens de l’ellipse.
Côté historique : des événements qu’on connaît, Allende, Pinochet, mais aussi des parties de l’histoire du Chili peu connues des européens, comme celle des Mapuche et l’installation des français et des allemands au 19ème siècle.
Côté onirique : réalisme magique, avec des personnages exceptionnels, hauts en couleur, et des situations excentriques, absolument irréalistes mais auxquelles on a envie d’adhérer. Personnages ayant réellement existé : Ilario Da, père de Miguel Bonnefoy et Vénézuela, sa mère.
Les points positifs :
la construction du roman qui nous fait passer d’une histoire à l’autre contribue à l’envie de poursuivre. Ce n’est pas toujours réaliste mais il faut du lâcher-prise pour se laisser embarquer sur cette croisière qui éveille les sens.
Le style d’écriture est riche et captivant, beaucoup de belles phrases poétiques avec un humour sous-jacent.
Quelques remarques :
les personnages peuvent ne pas susciter l’empathie car les sentiments ne sont pas exprimés. Le grand nombre de personnages a pu embrouiller et déstabiliser mais Margot a semblé rassembler autour d’elle les moins enthousiastes.
Miguel Bonnefoy est un conteur qui réussit à nous embarquer avec plaisir et émotion. C’était une belle découverte.
"Jusqu'à ce que la mort nous unisse"
Karine Giebel, juriste de profession, est une autrice française, principalement de 8 romans policiers/ thrillers psychologiques.
Le roman se situe dans le parc du Mercantour où un guide enquête sur la mort, qu'il refuse de croire accidentelle, de son ami, garde du parc. Aidé d'une gendarme, il va mettre à jour une série d'intrigues, qui engendre violences et retournements de situations. En parallèle, se dessinent petit à petit les personnalités des différents protagonistes, et leurs secrets se révèlent. Il a fait l'objet d'une adaptation télévisuelle.
Les avis sont variés et ne sont pas forcément liés au fait d'aimer les polars ou ne pas en lire habituellement. La question est posée de savoir si l'intérêt du livre réside dans le côté polar (enquête, suspense…) ou l'aspect thriller psychologique ( analyse des caractères, intensité dramatique…). Toutes les lectrices ont lu le livre en intégralité, pour connaître le dénouement, même si, pour certaines, le titre en était révélateur. Il se lit facilement, de manière fluide, sans grande recherche de style. Le côté «régional» des lieux mentionnés a plu. Beaucoup ont noté des incohérences, des «ficelles« un peu grossières dans l'intrigue et des éléments devinés avant leur révélation. Celles qui n'ont pas aimé le livre ne sont pas senties touchées par l'intrigue et/ou les personnages caricaturaux. L'image du roman photo a été utilisée.
Ce livre a été qualifié comme appartenant à la littérature populaire, accessible à tous et déclenchant des émotions diverses, autour de l'amour, la peur, la haine…Marquant au moment de la lecture sans laisser forcément de souvenir à long terme. Celles qui l'ont apprécié ont souligné l'intérêt de l'analyse de la nature humaine et sa psychologie, l’ambiguïté de ces personnages qui ont tous un côté trouble ou caché, le thème de l'enfermement qui transparaît dans tous ces secrets, l'intégration de la montagne comme un personnage à part entière, le rythme soutenu qui conduit au dénouement…
Ses dernier romans ont été évoqués par les lectrices : - Toutes blessent la dernière tue, Belfond, 2018 sur l'esclavage moderne - Ce que tu as fait de moi, Belfond, 2019 sur une passion destructrice ou un rapport emprise/ domination. - Glen Affric, Plon, 2021, autour d'un trisomique. Celles, qui en ont lu certains, estiment leur atmosphère beaucoup plus dure que celle de « Jusqu'à ce que la mort nous unisse » mais les avis demeurent similaires : celles qui ont aimé l'un ont aimé les autres et inversement.
"Les années" de Annie Ernaux
Toutes les participantes à cet échange ont eu accès au discours d’Annie Ernaux lors de sa réception à Stockholm, pour l’attribution du prix Nobel de littérature, le 12 décembre 2022 où elle affirme écrire pour « venger sa race ».
Elle entre en matière par une question : « Par où commencer ?».
Nous avons envie d’entamer ce compte-rendu par la même interrogation, tellement les avis sont partagés, allant de « j’ai adoré » à « je n’ai pas aimé, jusqu’au bout » en passant par « j’ai eu du mal à y entrer mais j’y ai trouvé de l’intérêt ». Constat d’une gêne provoquée par le choix de l’auteur d’une écriture plate qui n’exprime pas ses émotions. Autre gêne plusieurs fois exprimée, sur le thème récurrent de son œuvre : la honte de ses origines. Alors qu’elle a vécu dans un milieu de petits commerçants et qu’elle a été aimée par ses parents et qu’elle les a aimés, elle se pose en « transfuge de classe », entrée par ses choix de vie dans le monde de la bourgeoisie Elle dira plus tard « avoir honte de sa honte ».
Ce qui est apprécié par beaucoup c’est le travail extraordinaire du récit détaillé, chronologique, des évènements vécus, illustrés par des descriptions de photos, des récits de réunion de famille, des détails du quotidien où l’on se retrouve volontiers, au cœur d’une fresque historique qui sert de toile de fond au récit, de 1941 à 2008.
La force de son écriture et la finesse de son analyse arrivent à toucher intimement.
Pour certaines lectrices, elle pose la question de « qu’avons-nous fait de nos vies ? », ce qui est ressenti comme déprimant.
L’auteure est perçue comme une femme révoltée toujours en colère et en lutte, en réponse à la violence de la société qu’elle dénonce en permanence.
Bien qu’elle ait bénéficié, par l’attribution du prix Nobel d’une reconnaissance exceptionnelle de son talent d’écrivaine, certains mettent en doute sa légitimité.
Ce fut une séance d’échanges animée au cours de laquelle chacune a pu s’exprimer !
Le livre "Les cahiers de l'Erne" édition spéciale Annie Ernaux a été conseillé pour plus de témoignages et d'avis sur la personnalité de cette auteure.
"le cerf-volant" de Lætitia Colombani
Laetitia Colombani est une écrivaine française mais aussi une scénariste et réalisatrice, dont le groupe avait beaucoup apprécié « La tresse ».
C'est l'histoire entremêlée de trois femmes et leur rencontre :
- Lena, professeure française, en deuil, qui se réfugie dans le Golfe du Bengale en Inde et qui va s'investir dans la mise en place d'une école pour les intouchables,
- Latifa, la petite fille intouchable qui ne parle plus mais a soif d'apprendre et va sauver la vie de Léna,
- Pretti, jeune fille en révolte qui forme d'autres filles contre les agressions et les organise en brigades de défense.
Ce livre n'a pas séduit par ses qualités littéraires : beaucoup trouvent que ce livre va vers des facilités, présente des incohérences et mêle l'aspect romancé à un aspect plus documentaire sans parvenir à avoir un style propre. Il réitère la structure du livre « La tresse » sans séduire autant. Les lectrices déplorent un manque d'exigence littéraire. Les personnages sont assez caricaturaux. Mais elles reconnaissent que cela ferait un très bon scénario de film.
Malgré cela, certaines lectrices se sont déclarées touchées, par cette histoire «pleine de bons sentiments».
Le cerf volant pourrait être une métaphore de l'élévation de l'esprit par l' éducation.
Le mérite de ce roman est de mettre en lumière des thèmes forts comme la condition féminine en Inde, la situation des intouchables, malgré l'abolition juridique des castes, les discriminations, l'hindouisme, l'engagement des occidentaux auprès de ces populations, la misère, l'espoir porté par les nouvelles générations (représentées par Pretti) …
Les débats autour de ce livre ont davantage porté sur les thèmes évoqués que sur le livre lui même, grâce à des témoignages de voyage et des échanges très fructueux d'informations.
" Âme brisée" de Akira Mizubayashi
Ce livre a été majoritairement très apprécié. Les lecteurs ont été touchés par l’histoire de ce
violon piétiné par la brutalité d’un soldat pendant la guerre sino-japonaise en 1938.
Tout le livre se construit autour de la résurrection de cet instrument et de la reconstruction du personnage principal qui ne s’autorisera à s’épanouir et à vivre son amour qu’après avoir redonné vie à ce violon. Cette reconstruction permettra également à des
hommes et des femmes qui ont vécu les traumatismes liés à cette guerre et à cette histoire, autres âmes brisées, de combler le vide dû à la séparation et à l’éloignement.
La musique prend une place essentielle dans ce récit. L’auteur nous fait partager son expertise musicale en nous faisant écouter les œuvres
citées. Chaque chapitre a pour titre le nom d’un mouvement musical, ce qui donne un rythme au récit.
Akira Mizubayashi nous fait découvrir le monde merveilleux de la fabrication de ces violons d’exception, célébrés dans le monde entier, le monde des luthiers et des archetiers. Il nous invite à la fois à une réflexion sur le pouvoir de la musique, sur la transmission de la mémoire, sur la cruauté des guerres et sur la beauté de certaines âmes.
Même si parfois la pudeur de l’auteur (peut-être très japonaise ?) empêche le lecteur de vivre à fond certaines émotions, même si quelquefois tout s’enchaîne avec un peu trop de perfection, chacun pourra s’interroger sur les valeurs lumineuses qui animent Akira Mizubayashi dans un monde où les guerres se répètent depuis la nuit des temps.
« La controverse de Valladolid » de Jean Claude Carrière
Ce « roman historique » met en scène une controverse qui a réellement eu lieu mais sans doute de manière épistolaire entre, notamment, deux intervenants : le dominicain Las Casas, défenseur du droit des indiens, l'homme de terrain qui s'est rendu plusieurs fois en Amériques et le philosophe Sepùlveda, l'homme de bibliothèque.
Ce débat politique et religieux, qui s'est déroulé en Espagne au milieu du XVI° siècle a permis de fixer les règles de colonisation et de conversion des Amérindiens.
Suivant la doctrine de l'Eglise et de l'Empire, les deux protagonistes reconnaissent une âme humaine aux Indiens et la nécessité de la sauver. Mais, si Las Casas met en avant les massacres perpétrés contre ces peuples, Sepùlveda argumente sur les peuples esclaves.
D'après l'auteur, le jugement final a conduit à la déportation des africains comme main d’œuvre, ce qui n'est pas rigoureusement exact. Mais le texte est fort, la présentation des positionnements de l'Eglise, des pouvoirs en place, la force des arguments rendent cette lecture très intéressante.
Le roman est découpé de façon très scénique. La version pièce de théâtre comporte moins de parties mais suit la même trame avec des moments de violence, de surprise, de farce...Le style est agréable et vivant.
« Cannibale » de Didier Daeninckx
Ce roman entrecroise deux époques différentes : les années 1990 de la révolte des Kanaks en Nouvelle Calédonie et un épisode lié à l’Exposition Coloniale de 1931 à Paris.
Gocéné, l'ancien, raconte aux jeunes rebelles qui tiennent un barrage routier, comment il a été embarqué vers Paris, avec cent autres kanaks et exposé au zoo de Vincennes comme représentant d'un peuple cannibale. Certains d'entre eux ont même été «prêtés» à un cirque en Allemagne en échange de crocodiles, le temps de l' Exposition. C'est tout un périple dans un Paris inconnu pour lui et son ami de tenter de retrouver ceux qui sont partis en Allemagne.
Ce récit mêle des épisodes cocasses (la découverte du métro) des actes de violence, mais aussi quelques uns de solidarité.
Ce roman, qui s'appuie davantage sur la réalité historique, est perçu comme fort, et sa lecture est plaisante.
Les thèmes évoqués dans ces deux romans sont toujours fortement d'actualité : racisme, délit de faciès, asservissement, esclavage moderne...
Les guerres de conquêtes ne peuvent pas être des guerres justes, même sous l'angle de l’Évangélisation, puisqu'elles asservissent les autochtones, souvent de matière très brutale.
L'Exposition Coloniale avait pour but de présenter les réussites du colonialisme et de permettre aux européens de découvrir d'autres horizons et cultures mais comment peut on exposer des être humains dans un zoo ?
Pourquoi l'homme blanc est il présenté comme une référence ?
Pourquoi hiérarchiser les différences entre les humains ?
Ces deux livres conduisent forcément à s'interroger sur la nature humaine....
Trois romans de Stéphane Carlier
«Clara lit Proust » va plus loin qu’une simple comédie. Ce roman nous fait toucher du doigt ce que la littérature, en l’occurrence celle de « à la recherche du temps perdu » de Proust, peut apporter ou changer dans une vie un peu routinière, sans a priori de condition sociale ou de niveau d’études. Il reprend aussi les thèmes des deux autres romans : l’argent, la famille, l’homosexualité, la transsexualité, le changement dans tous les domaines. Peut-être un conte de fée moderne ?
Dans ses trois romans, Stéphane Carlier, à travers ses observations très fines du genre humain, met en avant la chaleur des relations humaines, la tendresse et la profondeur des sentiments. Il écrit des moments vrais de la vraie vie, qui mettent en jeu des « vrais gens ».
Sa présence, en deuxième partie de la réunion, nous a permis d’approcher le cheminement de l’écriture, de découvrir les sources d’inspiration et de pénétrer dans les coulisses du roman.
Amélie Nothomb, son oeuvre
L'impression générale de cette œuvre est qu'elle se voit comme un patchwork qui représente des aspects
divers de sa personnalité et de sa vie. Elle utilise un ou plusieurs éléments biographiques, des épisodes de sa
vie mêlés aux parties romancées. Elle demeure difficile à cerner.
Mais, si toutes les participantes reconnaissent la grande qualité littéraire de ses textes, son érudition,
l'originalité des thèmes, son humour, sa dérision et sa causticité, elles ressentent une frustration d'émotions
face à ces textes qui ne les touchent pas, sauf lors de (trop) brefs passages.
Ses ouvrages sont courts et se lisent facilement, avec plaisir et rapidement. Mais les lectrices reconnaissent
les oublier facilement également et l'abondance de titres n'aident pas à les garder en mémoire.
Un de ses lecteurs/correspondants lui a écrit que ses romans ressemblaient à des coupes de champagne
(dont elle est très amatrice!) : légers, pétillants… mais qui laissent peu de traces.